Il y a quelques jours, alors que je me promenais à Marrakech sur la place Jamel Fna accompagnée d’un ami, une scène vient à mes yeux. Je suis entièrement spectatrice et une évidence vient à moi, pour la première fois...
Nous nous apprêtons à traverser cette fameuse place aux multiples saveurs, aux multiples tentations, aux multiples rencontres et aux multiples expériences. Et là, il s’agit d’une expérience vécue qui, tout à coup, se transforme en exercice. Un exercice auquel on pourrait se livrer à différents moments de notre vie, dans différents lieux et autour de différents thèmes. En fait, c’est autour de toute notre existence que ce challenge se vit. Il s’agit là, de s’autoriser à dire Non, déposer ce Non, savoir dire ce Non.
La scène se déroule sur une distance d’environ 300 mètres, à l’heure la plus chaude de la journée, en début d’après-midi. Nous nous dirigeons de la Koutoubia à l’entrée des souks, en traversant la place. A cette heure-là, les touristes sont présents. Les Marrakchis aussi, dans une agitation qui leur est propre, celle du contact aux touristes, parfois insistant et envahissant. De pas en pas, de minute en minute, nous sommes au contact de ces vendeurs, divers et variés. Voici donc l’exercice qui s’offre à nous.
Ancré et vertical, l’ami avec qui je fais cette traversée saura prendre le temps de dire non. Les yeux dans les yeux, le regard fixe inondé de reconnaissance et de bienveillance, le souffle dans le corps, le non s’exprime. Prise de conscience que cette demande appartient uniquement à l’autre, dans ce qu’il est, à l’instant présent. Ici, puis là, quelques pas plus loin le non se dépose à nouveau en toute quiétude. Ce non est fluide, posé. Cette personne s’autorise à laisser sortir de sa bouche ce son, cette tonalité, sans agression, ni colère. Comme si cette négation avait déjà fait son chemin avant de sortir de son corps. Comme si l’exercice de déposer ce non était déjà bien vivant en interne, avant même de voir le jour. Le non est posé à l’intérieur du corps, dans la fluidité et l’harmonie. Il est ferme et souple à la fois. L’alignement de ce mot est tel, qu’il est entendu et compris. L’expression se situe autant dans le verbal que dans la posture, dans la précision de ce qui veut être communiqué. Toute l’ampleur de ce que ces trois lettres dégagent s’exprime là, en quelques secondes, alors que parfois l’espace temps est bien plus étiré. Comment ce calme intérieur permet un déroulement du non sans aucune colère ? A ce moment précis, le diseur ne rencontre aucune peur qui pourrait le freiner. Il est là, ancré dans sa parole, en toute confiance. Ancrage et stabilité au niveau du ressenti interne provoque un tel équilibre, qu’il sent juste de rester dans la négation. Au début de cette traversée, la décision est prise de rester à cette place, qui est la sienne du moment : rien ne vient déroger.
Il s’agit là de se positionner dans une décision. Ce n’est pas refuser mais plutôt rester sur sa propre vérité, ancré. S’autoriser à avoir une pensée différente de l’autre. Je reste dans ma posture, celle qui m’appartient, et je peux dire que je ne partage pas la même opinion, la même valeur, la même envie, le même choix que l’autre dans ce moment précis. Je laisse s’exprimer mes sensations internes dans un espace de liberté qui est le mien. Je reste moi, dans toutes circonstances. Que je sois assailli,tiraillé, persécuté, j’ai le droit de rester dans ma posture, celle qui sent que le non est juste, dans le moment présent. Plus je vais maitriser la valeur de ce non, plus il me sera alors facile de jouer avec. Jouer, veut dire savoir l’employer à bon escient, lorsque c’est juste pour moi. Lorsque je ressens la nécessité de me positionner dans cette négation. Même si parfois je peux être tenté de dire oui pour faire plaisir, de poser le oui parce que je n’ose pas dire autrement. Il est important à ce moment précis de faire une pause et se demander si c’est juste pour moi de dévier, d’être dans quelque chose qui ne m’appartient pas complètement, de contourner. Et jusqu’où je vais, jusqu’où j’accepte de dévier de ce qui est ma vérité. Pourquoi j’ai besoin de me cacher encore une fois derrière ce non pasprononcé, de non-dit ? Est-ce une peur qui se reflète alors en moi ? Une peur du jugement, une peur de blesser l’autre, une peur de s’avouer, une peur de se laisser transparaître.
Quelle place occupe la négation dans notre vie ? Comment jongler habilement et avec légèreté avec ce non ? Pourquoi il est si important d’apprendre à dire non ? On ne saura dire un vrai oui que si on a appris à dire un vrai non. C’est cet équilibre entre le non et le oui, le yin et le yang, la vie et la mort, qui nous est donné à expérimenter à chaque instant de vie. Plus nous marchons vers cette prise de conscience, ce besoin de reconnaître ces deux pôles qui nous habitent, plus notre équilibre interne se trouve.
Alors, aujourd’hui, chacun chacune dans notre vie, nous pourrions jouer le jeu de « la traversée de la place ». L’exercice de s’autoriser à rester Soi, dans sa vérité, dans son entièreté. Juste un instant, le temps du jeu... et peut être plus ! En conscience, laissons entrer toute la valeur du NON dans notre vie pour accueillir toute la puissance du OUI.
Le 14 février 2019
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